Histoire des Finances publiques en Belgique – Tome VI : La fin du déficit budgétaire (1990-2000)

Ce sixième tome de l’histoire des finances publiques en Belgique n’est pas un livre d’histoire et encore moins un travail d’historiens. Il s’agit d’un ouvrage collectif de politique économique rédigé par près de 30 économistes. L’objectif n’est pas de décrire par le détail l’évolution qu’ont connue les différents secteurs qul appartiennent au champ des finances publiques mais, au travers d’une analyse encore a chaud des dix années écoulées, d’alimenter la réflexion sur la situation présente.

L’ouvrage est articulé en trois parties. La première trace les lignes de force de la politique menée en matière de finances publiques belges au fil des années 90, en examinant la politique budgétaire, l’influence conjoncturelle, l’effet des réformes institutionnelles et les réformes restées en suspens. La deuxième est consacrée à l’évolution des grandes composantes des finances publiques: recettes fiscales, charges d’intérêt, sécurité sociale, autres dépenses publiques et dette publique. La troisième offer une analyse de thèmes particuliers, de l’évolution du rôle de l’État au travers des privatisations à la régulation de l’économie en passant par l’articulation entre finances publiques et emploi, l’enseignement, les transferts budgétaires entre les Régions, les transferts entre les générations et la réforme de l’administration.

La période 1990-1999 a été une période passionnante pour les finances publiques belges. L’assainissement, entamé dans les années quatre-vingt, s’est poursuivi jusqu’à un premier solde positif en 2000. C’est à ce titre que la fin de cette période constitue un point critique historique. Les efforts consentis ont permis à la politique budgétaire actuelle de retrouver une certaine liberté qu’elle n’avait plus connue depuis deux décennies.

La politique budgétaire des années nonante est indissociablement liée aux préparatifs du lancement de l’union monétaire européenne. Elle a permis à la Belgique de participer le ler. janvier 1999 à la troisième phase de l’Union économique et monétaire européenne et de continuer de jouer son rôle de pays fondateur au sein de l’Europe.

Mais les années 1990-1999 furent déterminantes également au niveau national. Elles couvrent la quasi-totalité de la « période transitoire de la loi spéciale de financement » et ont ouvert la voie à un fédéralisme accru. Au cours de toute la période, les opinions ont divergé bien sûr à propos de la mise en ceuvre concrète de la politique, mais une grande unanimité s’est dégagée sur les principaux objectifs budgétaires à atteindre. Le grand défi de la prochaine décennie repose peut-être sur la combinaison de la consolidation des finances publiques et de leur amélioration qualitative en termes d’allégement de la pression fiscale sur le travail, de capacité de financement des charges des pensions ou de santé, voire d’investissement dans le capital humain comme dans certaines infrastructures.

Les finances publiques belges dans un cadre européen

Les discussions sur la réalisation d’une union monétaire européenne ont fait régulièrement la une de l’actualité depuis la création de la Communauté économique européenne en 1958. L’instauration du SME, qui démarra en mars 1979, a été la première étape concrète. Une nette accélération s’est produite avec le Livre Blanc de la Commission européenne sur le marché  unique considérant que l’union monétaire était une condition indispensable à la réussite de ce marché unique. Le rapport Delors déposé en juin 1988 proposait la création d’une union monétaire en trois phases et c’est ce scénario qui a été repris dans le Traité de Maastricht en décembre 1991.

Le Traité de Maastricht stipulait que la troisième phase devait commencer par une fixation de parités des cours d’échange irrévocables si la majorité des États membres remplissaient les quatre « critères de convergence ». Outre la stabilité des prix, le respect des marges du SME pendant deux ans et le niveau des taux d’intérêt, la situation des finances publiques faisait également partie des quatre critères de convergence. Afin d’atteindre les valeurs de référence budgétaire de maximum 3 % du PIB pour le déficit public et 60 % du PIB pour le taux d’endettement, les États membres ont été contraints de mettre sur pied des programmes de convergence indiquant les mesures à prendre afin de satisfaire à ces critères de convergence.

Le Sommet spécial des chefs d’État et de gouvernement du 3 mai 1998 confirma que l’UEM commencerait avec 11 participants, dont la Belgique. L’introduction de l’euro le 1er janvier 1999 provoqua une asymétrie dans le cadre politique macro-économique. En effet, la gestion de la politique monétaire est depuis lors centralisée par un organisme indépendant, la Banque centrale européenne. En revanche, la politique budgétaire (et la politique en matière de revenus) sont toujours une compétence autonome des États membres. Entre-temps, de nouvelles étapes ont cependant été franchies dans la coordination de la politique économique et plus particulièrement de la politique budgétaire. Le « Pacte de stabilité et de croissance » a été adopté lors du Sommet d’Amsterdam du 17 juin 1997. Les États membres y souscrivent l’engagement de tenter d’atteindre à moyen terme une situation budgétaire « pratiquement en équilibre ou enregistrant un excédent ». Ce n’est que dans des cas de récession bien précis que le déficit pourrait encore dépasser les 3 % du PIB. À l’instar des programmes de convergence, les États membres étaient obligés depuis 1997 de déposer, chaque année, un Programme de stabilité. La coordination des politiques économiques est renforcée depuis le Sommet de Luxembourg à travers les réunions de l’Eurogroupe, c’est-à-dire des Ministres des Finances de la zone euro.

La dimension européenne a apporté une impulsion supplémentaire permettant à la population de se sentir prête à consentir les efforts nécessaires que demandait déjà l’assainissement des finances publiques belges. Du reste, l’obligation de déposer des plans pluriannuels (pro-grammes de convergence et de stabilité) a également constitué un stimulus important pour une approche pluriannuelle des finances publiques.

Les finances publiques belges dans un cadre fédéral

Le cadre européen n’a pas été le seul élément déterminant pour 1′ évolution des finances publiques belges au cours des années 90. Elles ont également connu une profonde modification sur le plan national. La loi spéciale de financement du 12 janvier 1989 a remplacé le régime existant de financement des entités fédérées fondé sur des dotations par le transfert d’une partie des impôts conjoints (impôt des personnes physiques) et des impôts partagés (TVA). La « période de transition » prévue par cette loi s’est terminée en 1999. La ventilation de l’impôt des personnes physiques transféré s’effectue depuis 2000 sur la base de la localisation du produit de cet impôt. La loi spéciale du 16 juillet 1993 visant à achever la structure fédérale de l’État a adapté le régime de financement des Communautés et des Régions. Elle prévoyait, entre autres, de lier progressivement l’impôt des personnes physiques à transférer à la croissance du PIB. L’impôt des personnes physiques et la TVA à transférer en fonction de la loi spéciale de financement sont passés de 560 milliards BEF en 1990 à 922 milliards BEF en 1999, soit une hausse de 8,5 % du PIB à 9,8 %.

La loi spéciale de financement de 1989 contenait également un certain nombre de garanties en vue de sauvegarder l’union économique et monétaire belge. Cela se traduisit par la création de la Section « Besoins de financement des Pouvoirs publics » au sein du Conseil supérieur des finances, qui doit rendre chaque année un avis sur les besoins de financement de l’ensemble des pouvoirs publics. Le fait que le gouvernement fédéral devait s’engager, par des programmes de convergence et de stabilité, à atteindre certains objectifs à l’égard des institutions européennes, lié à l’autonomie budgétaire importante et croissante des entités fédérées, a fait apparaître la nécessité d’une coordination plus soutenue de la politique budgétaire. En vue de s’assurer la collaboration des entités fédérées et des pouvoirs subordonnées à la consolidation budgétaire, les engagements ont été pris sous la forme d’accords de coopération, établis sur la base des normes élaborées par le Conseil supérieur des finances.

Quelques chiffres pour concrétiser les résultats obtenus au cours des années nonante

Les premières années de la dernière décennie du vingtième siècle peuvent être considérées comme des années perdues du point de vue de l’assainissement des finances publiques. Le solde de financement qui avait été ramené à 6,7 % du PIB en 1990, remontait à 8,0 % en 1992, avant de recommencer à descendre pour atteindre 0,7 % du PIB en 1999. En 2000, et pour la première fois depuis 50 ans, l’équilibre budgétaire était à nouveau atteint. L’amélioration du solde de financement au cours de la période 1990-1999 est due pour un bon 20 % à la constitution d’un excédent primaire atteignant le taux très élevé de 6,5 % du PIB en 1999, tandis que les autres 80 % ont été réalisés grâce à la baisse des charges d’intérêt découlant de l’inversion de l’effet boule de neige.

Au début des années 90, l’attention fut principalement attirée sur la réduction du déficit public. Au fur et à mesure l’accent fut mis sur la réduction de la dette publique bien que les deux éléments soient naturellement indissociablement liés. Le taux de la dette a grimpé jus-qu’en 1993 pour atteindre 138,8 %, mais il a considérablement baissé par la suite et fut ramené à 116,4 % du PIB en 1999, avec l’espoir de repasser sous les 100 % du PIB à l’horizon 2003. Ces bons résultats sont principalement dus au maintien d’un solde primaire très élevé. La composition de la dette a également subi une profonde modification dans le cadre de la gestion de la dette : le taux de consolidation a été augmenté et la part de la dette en devises étrangères a été diminuée afin de la rendre moins sensible aux chocs extérieurs. Une Agence de la Dette a été créée au sein de la Trésorerie afin de professionnaliser davantage la gestion de la dette.
 
Mais ces résultats remarquables au niveau de l’assainissement des finances publiques ont un prix : on assista à une hausse substantielle de la pression fiscale et parafiscale totale. Celle-ci se montait à 43,4 % du PIB en 1990 et a grimpé à 46,5 % en 1998, pour revenir à 46,4 % du PIB en 1999 et 46,3 % en 2000. Cette hausse de la pression fiscale globale est principalement due aux charges d’impôts. Les mesures successives prises dans la première moitié de la décennie ont, à coup sûr, fait croître la pression fiscale. Ainsi l’indexation du barème de l’impôt des personnes physiques a été limitée à la « mini-indexation » (loi du 28 décembre 1992), la contribution complémentaire de crise a été appliquée à partir de l’exercice d’imposition 1994, les mesures légales se sont poursuivies dans l’impôt des sociétés… Ce n’est que tout à la fin de la période que furent prises les premières timides mesures en vue de réduire la pression fiscale. En revanche la pression parafiscale a déjà diminué depuis 1993, pour passer de 15,4 % du PIB à 14,5 % en 1999.

Enfin, il est également singulier de noter l’évolution divergente des dépenses primaires, en fonction du niveau de pouvoir. Globalement, la part des dépenses primaires dans le PIB était grimpée jusqu’à 44,8 % du PIB en 1994, mais était redescendue à 43,5 % vers 1999. Mais les taux de croissance sont profondément divergents selon le niveau de pouvoir considéré. Au cours des années 90, l’augmentation moyenne réelle, sur base annuelle, des dépenses primaires n’était que de 0,5 % pour le pouvoir fédéral, et on obtenait un taux de 1,7 % pour l’ensemble de l’entité I. Les Communautés et Régions connaissaient une croissance moyenne de 3,0 % par an et les pouvoirs subordonnés 2,9 %.

Conclusion : nouvelles marges pour une politique active

Les résultats budgétaires enregistrés à la fin des années 90 sont impressionnants comme le font d’ailleurs apparaître en détail les diverses contributions passionnantes de tous les auteurs de cet ouvrage. Les efforts soutenus de tous les citoyens ont permis, en vingt ans, de recréer, à l’aube du XXI’ siècle, une marge permettant de mener une politique active. Elle veillera encore à accélérer la diminution de la dette, permettant ainsi de faire face aux défis à long terme comme le vieillissement de la population. En plus l’accent doit à coup sûr être mis sur des aspects plus qualitatifs des finances publiques qui permettent de poursuivre l’augmentation du potentiel de croissance en Belgique tout en diminuant la pression fiscale sur le travail.